Dans votre tribune au ton respectueux, vous avez choisi de répondre à l’interpellation du Premier ministre Ousmane Sonko sur la place et le financement de la société civile. Le débat est sain, et nul n’en conteste la légitimité. Mais à vouloir trop justifier l’injustifiable, on risque de verser dans une défense malhabile d’un propos que vous qualifiez vous-même d’"incident clos", alors qu’il trahit une posture récurrente de dénigrement. Je vous le dis sans ambages : la société civile sénégalaise n’a jamais fui le débat. Elle l’a souvent initié, nourri, encadré et parfois même protégé au péril de ses libertés et de sa sécurité.
Rappelons quelques vérités utiles à la mémoire collective.
1. La société civile a toujours été au rendez-vous du débat républicain
La société civile sénégalaise n’a pas attendu M. Sonko pour réfléchir à sa propre place dans la gouvernance publique. Depuis des décennies, elle organise des fora, produit des rapports d’évaluation, dialogue avec les institutions et forme les citoyens aux principes de la transparence, de la participation et de la redevabilité. Elle a été au cœur des dynamiques démocratiques les plus importantes de notre pays, des assises nationales au M23, du contrôle citoyen du budget à la réforme de la fiscalité.
Vous semblez aussi l’oublier un peu vite, mais c’est la société civile qui, en 2011, au plus fort des dérives du régime de Wade, a été à l’avant-garde de la mobilisation du 23 juin. Parmi les figures emblématiques de ce sursaut républicain, Landing Mbissane Seck alias Kilifeu, membre actif du mouvement Y’en a marre, qui aujourd’hui occupe le poste de Président du Conseil d’Administration (PCA) du Grand Théâtre. Un symbole fort du passage de la société civile à l’institutionnalisation de l’engagement.
De même, Guy Marius Sagna, aujourd’hui député sous la bannière de PASTEF, fut l’un des membres fondateurs du FRAPP, une organisation de la société civile parmi les plus engagées sur les questions de souveraineté, de justice sociale et de défense des libertés. Ces deux parcours — de la société civile à l’institution — démontrent que la société civile n’est pas en guerre contre le politique, elle en est parfois le terreau.
Et vous le savez mieux que quiconque : la société civile vous a sollicité, à plusieurs reprises, dans des cycles de formation et de renforcement de capacités sur les politiques budgétaires et fiscales. Elle ne vous a jamais exclu, ni réduit à un adversaire. Elle vous a reconnu comme un intellectuel engagé au service de l’administration publique.
2. La société civile n’est pas la presse, ni un acteur politique encagoulé
Vous laissez entendre, à l’instar de M. Sonko, que la société civile jouerait un double jeu : celui d’une co-gouvernance dissimulée ou d’un pouvoir de l’ombre. C’est une confusion dangereuse. Contrairement à la presse, la société civile ne vit pas de la ligne éditoriale du sensationnel. Contrairement aux partis politiques, elle ne cherche pas le pouvoir, mais à en contrôler l’usage. La société civile propose, alerte, évalue, mais ne gouverne pas. Ce que vous appelez "co-gouvernance" n’est qu’un autre nom de la participation citoyenne — un pilier central de toute démocratie digne de ce nom.
3. C’est la société civile qui a tendu la main à Ousmane Sonko quand l’État l’a lâché
Quand M. Sonko a été radié de la fonction publique, ce sont des organisations de la société civile qui lui ont offert des contrats de consultance, lui permettant de garder la tête hors de l’eau. Ces faits, bien connus dans le milieu, devraient suffire à tempérer les discours accusateurs actuels. La société civile n’a pas à rougir de son engagement : elle a protégé ceux que l’État voulait marginaliser, elle a soutenu ceux que le système voulait briser.
4. Le financement extérieur est une conséquence, non un choix de confort
Affirmer qu’il faut "encadrer" le financement extérieur de la société civile revient à insinuer qu’elle disposerait d’alternatives internes viables. Or, l’État sénégalais n’a jamais sérieusement soutenu financièrement les organisations de la société civile, malgré leur rôle fondamental dans la consolidation de la démocratie, la justice sociale et le développement local. La vérité est simple : si la société civile reçoit des financements extérieurs, c’est parce que l’État est absent. Pire, dans de nombreuses zones du pays, c’est elle qui pallie les insuffisances budgétaires et structurelles de l’État, dans la santé, l’éducation, l’agriculture, l’environnement, l’entrepreneuriat et la gouvernance locale.
Ce n’est pas une anomalie ; c’est une contribution. Et cela crée des milliers d’emplois, mobilise des expertises locales, renforce les capacités des jeunes, des femmes, des parlementaires et des collectivités territoriales. C’est donc un acteur de développement et non une menace pour la souveraineté.
5. Il est temps de sortir du soupçon permanent
Le débat sur la régulation du financement de la société civile mérite d’être posé dans un cadre sérieux, apaisé, inclusif. Pas dans un discours partisan ou des invectives stériles. Les ONG et associations sont, en majorité, déjà tenues à des obligations de transparence vis-à-vis de leurs bailleurs et des autorités de tutelle. Vouloir les encadrer davantage sans offrir une alternative nationale de financement, c’est vouloir les museler. La souveraineté ne se décrète pas contre les partenaires, mais se construit avec des mécanismes crédibles de financement endogène.
En définitive, M. Pouye, la société civile n’est pas un ennemi de la démocratie sénégalaise. Elle en est un pilier, parfois plus stable que ceux du pouvoir. Elle continuera d’accepter le débat, même lorsqu’il est lancé avec mépris ou malveillance. Parce qu’elle croit à la République, à la vérité partagée et à la dignité du dialogue.
Avec respect mais sans concessions,
Cheikhou Oumar Sy
Ancien Parlementaire
Citoyen politique engagé, acteur de la société civile