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Pannes AWS et cybersécurité: le Sénégal face à l’urgence de sa souveraineté numérique (Diafara FOFANA)

La panne majeure d’un grand fournisseur de cloud mondial, survenue récemment, nous a rappelé une vérité simple et douloureuse : notre vie numérique est trop souvent à la merci d’infrastructures étrangères. Quand des services comme Snapchat, des banques, ou des plateformes publiques deviennent inaccessibles parce qu’une région d’un datacenter étranger est en défaut, c’est tout un pan de notre souveraineté qui vacille.


Rédigé par Kamalenba le Lundi 20 Octobre 2025 à 22:06

Au Sénégal, beaucoup d’acteurs publics et privés hébergent encore leurs sites, leurs bases de données et leurs services critiques à l’étranger — chez AWS, OVH, ou d’autres. J’ai moi-même lancé une alerte le mois dernier après des incidents ciblant des services étatiques (impôts, DGID) : ces événements montrent que la dépendance n’est pas seulement une question d’interruption de service, mais aussi de sécurité, de confidentialité et d’indépendance stratégique.

Il est temps d’appeler ceux qui gèrent nos infrastructures numériques à un acte de patriotisme concret : privilégier les services et serveurs hébergés au Sénégal ou en Afrique, investir dans nos propres datacenters et, surtout, former massivement la jeunesse pour qu’elle porte ce chantier.

Pourquoi cela importe

Résilience opérationnelle
Héberger localement réduit les risques d’interruption globale liés à des incidents externes et permet des bascules plus rapides en cas de problème.

Sécurité et contrôle des données
Les données fiscales, sanitaires, judiciaires ou personnelles doivent pouvoir être protégées selon nos règles et nos priorités. La localisation facilite l’application du droit national et la traçabilité.

Souveraineté technologique
Ne plus dépendre exclusivement d’un petit nombre d’opérateurs étrangers, c’est préserver notre capacité à décider des politiques publiques numériques.

Développement économique
Datacenters locaux, hébergeurs nationaux, fournisseurs de cloud africain : ce sont des emplois, des compétences et de la valeur ajoutée qui restent au pays.

Ce que je demande aux « patriotes numériques »

Entreprises, administrations et ONG : quand c’est possible, hébergez vos données sensibles au Sénégal ou dans des centres africains certifiés. Ne faites pas du cheap cloud étranger votre réflexe automatique.

Éditeurs de sites et développeurs : configurez des solutions hybrides — redondance locale + cloud international si nécessaire — pour garantir continuité et sécurité.

Journalistes et opinion leaders : relayer ces enjeux pour faire pression en faveur d’une stratégie nationale ambitieuse.

Ce que l’État et les acteurs publics doivent lancer maintenant

Une stratégie nationale de souveraineté numérique (inspirée par Vision Sénégal 2050) qui fixe des priorités de localisation des services critiques (finances publiques, santé, justice, identités).

Un plan d’incitation : crédits d’impôt, aides à l’investissement pour datacenters, marchés publics favorisant l’hébergement local certifié.

Standards et certifications locales (sécurité, conformité, disponibilité) pour les fournisseurs nationaux et régionaux.

Un cloud souverain national ou régional porté par un partenariat public-privé africain, avec garanties de neutralité et d’interopérabilité.

Opérations de migration sécurisée pour les administrations (audit, chiffrement, sauvegardes), afin d’éviter des ruptures pendant les transferts.

Investir massivement dans la formation : la clé durable

La souveraineté ne se décrète pas ; elle se construit. Et ce sont les compétences qui la font tenir.

Former les jeunes aux métiers du numérique : développement web et mobile, applications, systèmes et réseaux, cloud engineering, big data, intelligence artificielle, cybersécurité.

Programmes intensifs (bootcamps), bourses, partenariats écoles-entreprises et filières techniques dans les régions.

Centres de formation certifiants et laboratoires pratiques (ex : cyber ranges) pour simuler attaques et défenses.

Encourager l’entrepreneuriat tech : incubateurs, fonds seed, facilitation administrative pour startups qui construisent des solutions locales (SaaS, paiements, e-santé, e-gouvernance).

Mesures opérationnelles rapides (à lancer tout de suite)

Audit d’urgence sur les services publics hébergés à l’étranger avec priorisation de migration des plus sensibles.

Lancement d’un appel à projets pour la construction de datacenters « edge » régionaux modulaires.

Campagne nationale de sensibilisation aux risques : phishing, faux recruteurs, exfiltration de données.

Plateforme de signalement centralisée pour incidents numériques, accessible et opérée par l’État.

un appel à l’action patriotique

La souveraineté numérique n’est pas une idée abstraite : c’est un projet de sécurité nationale, d’économie et d’éducation. Héberger nos services à l’étranger par confort ou habitude, c’est accepter que nos capacités essentielles dépendent d’acteurs extérieurs. À l’heure où les enjeux numériques structurent l’avenir économique et social, il est urgent que chaque acteur — public comme privé, grand comme petit — fasse un geste concret : préférer l’hébergement local, investir dans les compétences nationales, et contribuer à bâtir un écosystème résilient et souverain.

Protéger nos jeunes talents, sécuriser nos données, créer nos propres serveurs et former des générations d’experts : voilà le patriotisme numérique dont le Sénégal a besoin. Agissons maintenant, ensemble.



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