Une génération née avec Internet, élevée dans la désillusion
La « Génération Z » marocaine — ces jeunes nés après 1997 — a grandi avec les smartphones, les réseaux sociaux et le sentiment d’appartenir à un monde connecté, fluide, sans frontières. Mais derrière cette ouverture numérique se cache une réalité sociale dure : chômage élevé, précarité persistante, frustration politique et défiance à l’égard des institutions.
Selon les dernières estimations du Haut-Commissariat au Plan, plus de 30 % des jeunes diplômés sont sans emploi. Beaucoup d’entre eux voient dans la réussite individuelle à l’étranger la seule échappatoire à un système perçu comme verrouillé. Les promesses de réforme du gouvernement Akhannouch, porté au pouvoir en 2021 sur la base d’un programme ambitieux, n’ont pas produit les résultats escomptés.
C’est dans ce contexte d’usure sociale et de désillusion collective qu’est né le mouvement GenZ212 – un nom symbolique où « 212 » renvoie au code téléphonique du Maroc, mais aussi à une génération décidée à faire entendre sa voix, autrement.
Un mouvement né du numérique et amplifié par lui
Tout est parti de courtes vidéos publiées sur TikTok et X (ex-Twitter), où des jeunes exprimaient leur exaspération face au coût de la vie, à la faillite de l’école publique et à la dégradation du système de santé. En quelques jours, le hashtag #GenZ212 a inondé les fils d’actualité, dépassant le simple cadre virtuel.
Cette jeunesse a inventé son propre langage : ironique, spontané, souvent brutal. Loin des discours calibrés et du lexique technocratique du gouvernement, les messages de GenZ212 sont courts, incisifs, et porteurs d’un sentiment d’urgence. Une manière de dire « assez » dans une société où l’expression politique est souvent perçue comme stérile.
Le succès du mouvement repose aussi sur sa structure — ou plutôt son absence de structure. Pas de leaders officiels, pas de porte-parole, pas de revendications hiérarchisées. Ce désordre apparent est en réalité une force : il empêche toute récupération politique et reflète la manière dont la Génération Z conçoit le militantisme — horizontal, collectif, viral.
Le décalage abyssal du gouvernement Akhannouch
Face à cette mobilisation inédite, la réaction du gouvernement marocain a été empreinte d’une certaine incompréhension. Le Premier ministre Aziz Akhannouch, issu du monde des affaires et connu pour sa communication lissée, a choisi le silence ou la minimisation. Ses ministres ont tenté de défendre le bilan économique du gouvernement, évoquant la hausse des investissements et les réformes structurelles engagées, notamment dans la santé et l’éducation.
Mais le mal est ailleurs. Ce que reprochent les jeunes à leurs dirigeants, ce n’est pas seulement l’inefficacité des politiques publiques, mais leur déconnexion des réalités sociales et culturelles de la jeunesse.
Alors que GenZ212 parle en memes, en vidéos virales et en slogans de 10 secondes, le gouvernement continue de s’adresser à eux à travers des conférences de presse et des communiqués institutionnels. Deux mondes parallèles, deux langages, deux temporalités.
Le résultat est une rupture symbolique totale : le pouvoir parle à une génération qui ne l’écoute plus, et cette génération s’exprime dans un langage que le pouvoir ne comprend pas.
Des thèmes universels, un ton local
Les revendications portées par GenZ212 ne sont pas nouvelles : éducation défaillante, chômage des jeunes, inégalités territoriales, santé publique en crise. Ce qui change, c’est la manière dont elles sont exprimées.
Les jeunes Marocains refusent désormais les médiations traditionnelles — syndicats, partis, associations — qu’ils jugent cooptées ou inefficaces. Le numérique leur offre un espace libre, sans filtre, où la parole se déploie sans censure apparente.
Certains y voient un tournant comparable aux prémices du « Mouvement du 20 février » en 2011, lorsque les réseaux sociaux avaient permis à une jeunesse marocaine de réclamer dignité et réforme politique. Mais cette fois, la révolte est moins idéologique et plus existentielle. Il ne s’agit pas de changer le régime, mais de réclamer une place dans la société, d’exiger que les institutions reconnaissent leur vécu et leur langage.
L’effet miroir d’un malaise régional
Le phénomène GenZ212 dépasse le Maroc. Il s’inscrit dans une vague plus large de contestations générationnelles qui traversent le monde arabe et africain.
De Dakar à Tunis, du Caire à Alger, une même frustration se manifeste : des jeunes mieux éduqués, hyperconnectés, mais exclus des cercles de décision. Dans chaque pays, les gouvernements réagissent souvent par la même stratégie : communication verticale, promesses de réforme, encadrement policier.
Mais cette fois, les jeunes disposent d’un avantage inédit : la maîtrise du récit. Sur les réseaux, ils dictent le tempo, imposent les sujets et ridiculisent les discours officiels.
Leur arme n’est plus la rue, mais la viralité. Leur pouvoir n’est plus l’organisation, mais la contagion numérique.
Un avertissement politique clair
Pour le gouvernement Akhannouch, GenZ212 est un signal d’alarme.
La colère exprimée n’est pas qu’économique — elle est culturelle, générationnelle, existentielle. Elle traduit une quête de reconnaissance et de dignité dans une société où les modèles de réussite paraissent verrouillés.
Si cette mobilisation venait à se structurer, elle pourrait bousculer les équilibres politiques du pays, fragilisant les partis traditionnels déjà en perte d’influence. À défaut, elle laissera une trace durable : celle d’une génération qui a compris qu’elle pouvait exister et s’imposer par ses propres moyens, sans intermédiaires.
Entre écoute et mutation : le défi du Maroc de demain
Pour que le Maroc transforme cette colère en énergie constructive, il lui faudra écouter sans mépriser, réformer sans tarder et parler le langage du numérique sans caricature.
Les jeunes de GenZ212 ne demandent pas un nouveau discours, mais une nouvelle manière d’agir : plus transparente, plus participative, plus en phase avec leurs réalités quotidiennes.
L’avenir politique du Maroc dépendra de la capacité de ses dirigeants à comprendre cette mutation profonde. Car dans le sillage de GenZ212, c’est toute une génération qui redéfinit le rapport au pouvoir, à la citoyenneté et à l’espace public.
La « Génération Z » marocaine — ces jeunes nés après 1997 — a grandi avec les smartphones, les réseaux sociaux et le sentiment d’appartenir à un monde connecté, fluide, sans frontières. Mais derrière cette ouverture numérique se cache une réalité sociale dure : chômage élevé, précarité persistante, frustration politique et défiance à l’égard des institutions.
Selon les dernières estimations du Haut-Commissariat au Plan, plus de 30 % des jeunes diplômés sont sans emploi. Beaucoup d’entre eux voient dans la réussite individuelle à l’étranger la seule échappatoire à un système perçu comme verrouillé. Les promesses de réforme du gouvernement Akhannouch, porté au pouvoir en 2021 sur la base d’un programme ambitieux, n’ont pas produit les résultats escomptés.
C’est dans ce contexte d’usure sociale et de désillusion collective qu’est né le mouvement GenZ212 – un nom symbolique où « 212 » renvoie au code téléphonique du Maroc, mais aussi à une génération décidée à faire entendre sa voix, autrement.
Un mouvement né du numérique et amplifié par lui
Tout est parti de courtes vidéos publiées sur TikTok et X (ex-Twitter), où des jeunes exprimaient leur exaspération face au coût de la vie, à la faillite de l’école publique et à la dégradation du système de santé. En quelques jours, le hashtag #GenZ212 a inondé les fils d’actualité, dépassant le simple cadre virtuel.
Cette jeunesse a inventé son propre langage : ironique, spontané, souvent brutal. Loin des discours calibrés et du lexique technocratique du gouvernement, les messages de GenZ212 sont courts, incisifs, et porteurs d’un sentiment d’urgence. Une manière de dire « assez » dans une société où l’expression politique est souvent perçue comme stérile.
Le succès du mouvement repose aussi sur sa structure — ou plutôt son absence de structure. Pas de leaders officiels, pas de porte-parole, pas de revendications hiérarchisées. Ce désordre apparent est en réalité une force : il empêche toute récupération politique et reflète la manière dont la Génération Z conçoit le militantisme — horizontal, collectif, viral.
Le décalage abyssal du gouvernement Akhannouch
Face à cette mobilisation inédite, la réaction du gouvernement marocain a été empreinte d’une certaine incompréhension. Le Premier ministre Aziz Akhannouch, issu du monde des affaires et connu pour sa communication lissée, a choisi le silence ou la minimisation. Ses ministres ont tenté de défendre le bilan économique du gouvernement, évoquant la hausse des investissements et les réformes structurelles engagées, notamment dans la santé et l’éducation.
Mais le mal est ailleurs. Ce que reprochent les jeunes à leurs dirigeants, ce n’est pas seulement l’inefficacité des politiques publiques, mais leur déconnexion des réalités sociales et culturelles de la jeunesse.
Alors que GenZ212 parle en memes, en vidéos virales et en slogans de 10 secondes, le gouvernement continue de s’adresser à eux à travers des conférences de presse et des communiqués institutionnels. Deux mondes parallèles, deux langages, deux temporalités.
Le résultat est une rupture symbolique totale : le pouvoir parle à une génération qui ne l’écoute plus, et cette génération s’exprime dans un langage que le pouvoir ne comprend pas.
Des thèmes universels, un ton local
Les revendications portées par GenZ212 ne sont pas nouvelles : éducation défaillante, chômage des jeunes, inégalités territoriales, santé publique en crise. Ce qui change, c’est la manière dont elles sont exprimées.
Les jeunes Marocains refusent désormais les médiations traditionnelles — syndicats, partis, associations — qu’ils jugent cooptées ou inefficaces. Le numérique leur offre un espace libre, sans filtre, où la parole se déploie sans censure apparente.
Certains y voient un tournant comparable aux prémices du « Mouvement du 20 février » en 2011, lorsque les réseaux sociaux avaient permis à une jeunesse marocaine de réclamer dignité et réforme politique. Mais cette fois, la révolte est moins idéologique et plus existentielle. Il ne s’agit pas de changer le régime, mais de réclamer une place dans la société, d’exiger que les institutions reconnaissent leur vécu et leur langage.
L’effet miroir d’un malaise régional
Le phénomène GenZ212 dépasse le Maroc. Il s’inscrit dans une vague plus large de contestations générationnelles qui traversent le monde arabe et africain.
De Dakar à Tunis, du Caire à Alger, une même frustration se manifeste : des jeunes mieux éduqués, hyperconnectés, mais exclus des cercles de décision. Dans chaque pays, les gouvernements réagissent souvent par la même stratégie : communication verticale, promesses de réforme, encadrement policier.
Mais cette fois, les jeunes disposent d’un avantage inédit : la maîtrise du récit. Sur les réseaux, ils dictent le tempo, imposent les sujets et ridiculisent les discours officiels.
Leur arme n’est plus la rue, mais la viralité. Leur pouvoir n’est plus l’organisation, mais la contagion numérique.
Un avertissement politique clair
Pour le gouvernement Akhannouch, GenZ212 est un signal d’alarme.
La colère exprimée n’est pas qu’économique — elle est culturelle, générationnelle, existentielle. Elle traduit une quête de reconnaissance et de dignité dans une société où les modèles de réussite paraissent verrouillés.
Si cette mobilisation venait à se structurer, elle pourrait bousculer les équilibres politiques du pays, fragilisant les partis traditionnels déjà en perte d’influence. À défaut, elle laissera une trace durable : celle d’une génération qui a compris qu’elle pouvait exister et s’imposer par ses propres moyens, sans intermédiaires.
Entre écoute et mutation : le défi du Maroc de demain
Pour que le Maroc transforme cette colère en énergie constructive, il lui faudra écouter sans mépriser, réformer sans tarder et parler le langage du numérique sans caricature.
Les jeunes de GenZ212 ne demandent pas un nouveau discours, mais une nouvelle manière d’agir : plus transparente, plus participative, plus en phase avec leurs réalités quotidiennes.
L’avenir politique du Maroc dépendra de la capacité de ses dirigeants à comprendre cette mutation profonde. Car dans le sillage de GenZ212, c’est toute une génération qui redéfinit le rapport au pouvoir, à la citoyenneté et à l’espace public.
GenZ212 : la révolte numérique d’une jeunesse marocaine face à un pouvoir sourd
