Organisée par la Société sénégalaise de droit international (SSDI) et l’African Center of International Law Practice (ACILP), cette rencontre a réuni juristes, universitaires, représentants d’agences étatiques (APIX, PETROSEN, SOMISEN), ainsi que des institutions internationales pour réfléchir à un nouveau paradigme juridique autour du thème : « Souveraineté économique et droit international de l’investissement : défis et enjeux pour le Sénégal ».
Une tension structurelle : souveraineté vs protection
Le cœur du débat porte sur une tension structurelle : jusqu’où un État peut-il exercer sa souveraineté économique sans violer les engagements contractuels ou internationaux qu’il a librement souscrits ? Le président de la SSDI, Me Aboubacar Fall, a été clair :
« Il faut revisiter les TBI (Traités bilatéraux d’investissement), revoir le Code des investissements et s’inspirer du Code panafricain des investissements ainsi que du protocole de la ZLECAF. »
Un avis partagé par de nombreux experts, qui estiment que le régime actuel des TBI, hérité des années 1960, ne favorise pas le développement des pays hôtes. Selon Mme Suzy Nikiema, de l’Institut du droit des investissements à Genève :
« Ce système a engendré plus de contentieux que de croissance inclusive. »
Le cas du Sénégal : entre engagements et ajustements
La représentante de l’État sénégalais, Marième Touré Lô, a souligné la nécessité de maintenir un équilibre entre stabilité juridique et capacité d’adaptation :
« Le Sénégal reste fidèle à ses engagements, mais entend mieux maîtriser ses politiques économiques. »
En ligne de mire : la révision du Code des investissements, la promotion du contenu local dans les marchés extractifs, mais aussi la réforme de la justice économique pour mieux encadrer les litiges commerciaux.
L’« africanisation » du droit de l’investissement : une voie stratégique
Au cœur des échanges, une idée revient avec insistance : l’africanisation du droit international de l’investissement. Cela signifie notamment :
Adapter les normes juridiques aux réalités socio-économiques du continent ;
Mettre fin à la domination des juridictions arbitrales internationales souvent perçues comme défavorables aux États africains ;
Promouvoir des mécanismes régionaux de règlement des différends.
Déjà, des initiatives sont en cours :
Le Code panafricain des investissements, soutenu par l’Union africaine ;
Le protocole sur l’investissement de la ZLECAF ;
Une contestation croissante du système ISDS (Investor-State Dispute Settlement).
Les défis de la souveraineté maîtrisée
Mais cette transformation se heurte à plusieurs obstacles :
Une dépendance juridique externe persistante (common law, droit français, tribunaux étrangers) ;
Une capacité technique et juridique limitée dans la négociation avec des multinationales ;
Une hétérogénéité des systèmes juridiques africains qui complique l’harmonisation.
Pourtant, les États africains doivent mieux défendre leurs intérêts tout en restant attractifs. La marge de manœuvre est étroite : il s’agit de créer un cadre qui protège les investisseurs sans empêcher l’État de réguler, redistribuer et assurer la justice économique.
Vers un nouveau pacte juridique et économique
Ce Forum de Dakar ouvre la voie à une réflexion profonde sur la manière de redéfinir les règles du jeu. Il ne s’agit pas de rejeter l’investissement étranger, mais de l’ancrer dans une logique de partenariat équitable, respectueuse de la souveraineté des États hôtes et des droits des populations locales.
Le chantier est vaste, mais incontournable si l’Afrique veut tirer pleinement profit de ses ressources, sans renoncer à sa souveraineté économique.